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Le traité sur la haute mer


Le samedi 4 mars 2023, les pays membres de l'Organisation pour les Nations Unies (ONU) sont parvenus à un accord dit 'historique' : la formulation d’un traité sur la haute mer. La communauté internationale salue ce document attendu depuis presque vingt ans, tout en anticipant les efforts à faire pour le mettre en pratique. Cet article explique l’importance de la haute mer pour l’humanité, l’histoire du traité, ses objectifs, et ce qu’il reste à faire.


 


Qu’est-ce que la haute mer ?


La « haute mer » est un terme légal qui désigne toute zone maritime située hors des zones économiques exclusives (ZEE) contrôlées par les États. Ces zones s’étendent à partir de la ligne de base d’un État (son littoral) jusqu'à 200 milles marins (370,42 km) de ses côtes au maximum. La carte ci-dessous montre les ZEE en vert, et la haute mer en bleu.[1]


Représentant 60 % des mers et des océans, et presque la moitié de notre planète, ces eaux internationales sont accessibles et utilisables par tous les États, aussi bien pour la navigation que pour la pêche et les recherches scientifiques. L’ampleur de cet espace maritime, et son degré d’inaccessibilité en font la zone la moins surveillée de nos océans, la rendant sujette à risque de surexploitation et de pollution, sans qu’aucun État ne soit responsable de sa protection.


Pourquoi protéger la haute mer ?


L’importance des océans n’est pas limitée aux plaisirs balnéaires. Les océans et leurs écosystèmes jouent un rôle clé pour le climat, la biodiversité de notre planète et les sociétés humaines.


En ce qui concerne le climat, les océans régulent notre atmosphère de plusieurs façons. D’abord, ce sont des puits de carbone très efficaces : en plus de stocker bien plus de CO2 que la biosphère terrestre, ils auraient absorbé 20-30% des émissions de CO2 d’origine humaine depuis 1980 [2]. La biosphère marine est également une source importante d’oxygène, produisant 50 à 80 % de ce gaz indispensable à la vie, selon les sources et les régions, grâce au processus de photosynthèse des phytoplanctons. Enfin, les océans constituent également le plus grand puits de chaleur de la planète, absorbant 90 % de l’excès de chaleur dû au réchauffement climatique. Le rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) de 2019 souligne que cette dernière capacité, tellement utile pour notre planète, a des conséquences néfastes pour les systèmes océaniques. En effet, le réchauffement climatique est lié à l’intensification des vagues de chaleur marines, l’acidification des océans, et, en perturbant les échanges d’eaux froides et chaudes, diminue sa teneur en oxygène. Ces changements impactent à leur tour les écosystèmes marins.


Or, ces écosystèmes représentent 95% de la biosphère, celle-ci étant la somme de tous les écosystèmes sur Terre. En ce qui concerne les océans, plus de 200 000 espèces marines ont été recensées, et les scientifiques estiment qu’il en reste peut-être plus de 2 millions à découvrir [3].


Cette richesse fait de la haute mer un gisement précieux de ressources pour l’humanité. Il est estimé que plus de trois milliards de personnes dépendent des produits de la mer sauvages et d’élevage comme source importante de protéines animales [4]. D’après l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (Food and Agriculture Organisation – FAO), la production de pêche et d’aquaculture devrait croître de 15% d’ici 2030, pour atteindre près de 250 millions de tonnes. Dans le même temps, le pourcentage des stocks halieutiques en état de surpêche est passé de 9 % en 1978 à 35 % en 2019.


Ce ne sont pas seulement les ressources comestibles de la haute mer qui intéressent les êtres humains. Les milieux aquatiques sont également riches en minéraux et en hydrocarbures exploitables... et les industries cosmétiques et pharmaceutiques récoltent aussi les algues pour étudier les effets bénéfiques de certaines de leurs molécules. Des exploitations sont souvent liées à la destruction des fonds marins.




Le traité : origine et objectifs


Le traité sur la haute mer a donc pour objectif de lutter contre ces multiples menaces qui pèsent sur l’écosystème marin, et d’« assurer la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité biologique marine dans les eaux internationales. »


Il s’appuie sur la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (« United Nations Convention on the Law of the Sea » ou UNCLOS, 1982) et ses accords de mise en œuvre. Ensemble, ces accords régulent les droits d’accès et les règles de navigation, et certains aspects de pêche et de protection maritime, notamment relatif à la conservation et à la gestion des stocks de poissons qui chevauchent la limite séparant les eaux de pêche des états côtiers des zones hauturières adjacentes, et de poissons grands migrateurs.


Cependant, ces textes ont été critiqués parce qu’ils ne présentent pas suffisamment d’exigences permettant d’assurer la protection de l’environnement marin situé en-dehors des ZEE, qui est maintenant reconnu comme patrimoine commun de l’humanité (tout comme les corps célestes, par exemple). En effet, la seule restriction concernant la pêche et la recherche scientifique en haute mer est que les États « prennent les mesures nécessaires pour la conservation des ressources » et coopèrent entre eux à cette fin – une mesure bien trop vague pour avoir un effet judiciaire [5].


En établissant un cadre règlementaire, le traité cherche à atteindre trois objectifs : créer des aires marines protégées en haute mer, réguler l'accès et l'utilisation des ressources génétiques marines, et augmenter la capacité des parties engagées à intensifier la recherche dans le domaine de la conservation marine.


  • Protéger 30% des zones maritimes mondiales


Le chiffre de 30% n’a pas été choisi au hasard. Pendant la réunion de la COP 15 à Montréal en Décembre 2022, la communauté internationale s’est engagée à protéger 30 % des terres et mers de la planète d’ici 2030 (objectif « 30 x 30 »). Cependant, malgré les efforts de la communauté scientifique, la résolution de la COP ne fait référence aux océans que deux fois, et l’unique référence à la pêche n’est pas plus précise que celle du UNCLOS.


Le traité sur la haute mer répond à cette lacune en établissant un système pour que les parties (pays signataires) puissent identifier et mettre en place des outils de gestion, dont des aires marines protégées (AMP), qui permettrait d’assurer la protection de la biodiversité tout en favorisant la gestion durable des activités maritimes. De plus, toute nouvelle activité en haute mer nécessitera des évaluations d’impact environnemental, menées par les parties concernées. Si un pays n’a pas les capacités financières ou techniques, il pourra aussi être soutenu par un groupe d’experts scientifiques internationaux indépendants crée sous l’auspice du traité.


  • Partager équitablement les ressources génétiques marines


Le terme « ressource génétique marine » décrit tout matériel génétique d'origine marine, végétal, animal, microbien ou autre contenant des unités fonctionnelles de l'hérédité, de valeur réelle ou potentielle. Depuis une cinquantaine d’années, les chercheurs utilisent ces ressources pour mettre au point des produits pharmaceutiques (comme les médicaments contre les cancers), cosmétiques (à base d'extraits d’algues) ou industriels (pour remédier à certains problèmes de pollution) [6]. L’investissement dans l’exploitation commerciale de cet « or bleu » est aujourd'hui particulièrement rentable, aussi bien socialement que financièrement.

Le traité reconnaît que les pays en voie de développement ou les pays enclavés (sans littoral) sont désavantagés dans ce domaine de recherche qui nécessite souvent un important investissement. Pour assurer un partage égal, les parties engagées par ce traité se sont mises d’accord pour créer un dépôt de données en libre accès. La seule exception est le savoir traditionnel des peuples autochtones, auquel l’accès n’est permis qu’avec l’obtention de leur consentement libre, préalable et informé. De plus, tous les bénéfices, qu'ils soient monétaires ou d'autre nature, provenant des ressources maritimes doivent aussi être distribués de manière équitable.


  • Renforcer la capacité des États à développer la recherche scientifique et à établir une bonne gouvernance des aires marines


Les prémisses du traité reconnaissent qu’atteindre ces objectifs nécessitera un effort partagé entre tous les pays signataires, mais que toutes les parties n’ont pas les mêmes capacités financières ou techniques. Chaque article fait donc référence au devoir des États riches ou développés à renforcer les capacités des autres États (par le biais, par exemple, de financements de programmes, de partenariats scientifiques, d’initiatives, et de coopération accrue), particulièrement dans les domaines scientifiques et technologiques relatifs à la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine présente dans la haute mer.


Le traité affirme que cette coopération devrait s’organiser à plusieurs niveaux, y compris en établissant des partenariats avec le secteur privé, la société civile, les communautés autochtones, en renforçant la coopération et la coordination entre différents instruments législatifs et entre les institutions mondiales, régionales et sectorielles concernées.





Et maintenant ?


Après un processus de négociations aussi pénible que prolongé, les médias internationaux ont rapidement fêté l’accord sur l’ébauche du traité. Cependant, les scientifiques et les chefs d’Organisations non gouvernementales (ONG), préviennent que ce n’est qu’un début.


Tout d’abord, le processus administratif ne fait que commencer. Le texte sera soumis à une dernière révision, puis traduit dans toutes les langues officielles de l’ONU. Puis la conférence intergouvernementale devra à nouveau se réunir pour l’adopter, à une date qui n’a pas été fixée. Suivront les phases de signature, puis de ratification par au moins 60 pays, avant que le traité ne devienne actif. Dans le cas du UNCLOS, ce processus a pris 22 ans.


De plus, la portée du traité reste sujet à discussion. A ce stade, il ne s’applique ni au secteur militaire, ni à la régulation de la pêche en haute mer, qui est toujours règlementée par l’accord d’application controversé du UNCLOS évoqué plus haut. Il ne s’applique pas non plus, point crucial, à l’extraction des ressources minérales des fonds marins. Il est d’ailleurs possible que le traité entre en conflit avec les initiatives de l’Autorité internationale des fonds marins, qui, elle aussi sous l’égide de l’ONU, cherche à promouvoir l’exploitation des ressources minérales des fonds marins.


Le fait que toute décision sur la création d’une aire marine protégée devra être prise dans un esprit de consensus et de coopération risque aussi de ralentir le passage à l’action. Cette approche, positive et inclusive sur le papier, implique la possibilité de négociations longues et compliquées, ralentissant la création de ces AMP.


Claire Nouvian, militante écologiste française et fondatrice de l’organisation BLOOM, résume ainsi son opinion lors d’un entretien avec RadioFrance le 6 Mars 2023 : « Est-ce qu’aujourd’hui là, tout de suite, [le traité] va générer des bénéfices écologiques ? Je vous garantis que non, parce que c'est de la gouvernance internationale. (…) Une fois qu'on aura eu le moment de célébration des grands pros du marketing environnemental qui ont fait la pose devant la photo pour dire que ce sont les champions, (…on va) se taper l'immense mauvaise volonté des États qui ne voudront pas le mettre en œuvre, qui vont sans doute traîner la patte pour ratifier, etc. »


Pour autant, tout le monde s’accorde à dire que ce traité est un symbole de coopération inédit, et un pas important vers l’objectif « 30 x 30 ». Aujourd’hui, les déclarations des ONGs impliquées dans ce secteur se résument en trois mots : Maintenant, au travail !



 


Pour aller plus loin


Documentaires


Livres/rapports


Sites web


Associations



[1] White, Crow & Costello, Christopher. (2014). Close the High Seas to Fishing? PLoS biology. 12. e1001826. 10.1371/journal.pbio.1001826. [2] GIEC, 2019 : Rapport spécial du GIEC sur l’océan et la cryosphère dans le contexte du changement climatique ; Convention sur la Diversité Biologique : Factsheet sur la biodiversité marine et côtière. [3] Mora, C. et al. (2011) How Many Species Are There on Earth and in the Ocean? Georgina M. Mace (ed.). PLoS Biology 9 (8) p.e1001127. [http://dx.doi.org/10.1371/journal.pbio.1001127]. [4] Fond Mondial pour la Nature (WWF) : Consoguide sur la pêche durable [5] ONU 1982 : UNCLOS [6] Oldham, P; Hall, S; Barnes, C; Oldham, C; Cutter, AM; Burns, N; Kindness, L (2014) Valuing the Deep: Marine Genetic Resources in Areas Beyond National Jurisdiction. DEFRA Contract MB0128. London: DEFRA. DOI: 10.13140/2.1.2612.5605.

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