En 2024, une loi européenne majeure en faveur des écosystèmes a enfin été adoptée, après plus de 2 ans de préparation et de négociation : le Règlement européen sur la restauration de la nature. Ce texte ambitieux fixe des objectifs à moyen et long termes pour le rétablissement des milieux naturels dégradés par l’Humanité et des fonctions écologiques associées. Pourquoi cette loi est-elle requise ? Que signifie “restaurer la nature” ? Et enfin, que prévoit la législation ?
Pourquoi préserver et restaurer les écosystèmes ?
Les écosystèmes jouent un rôle essentiel et indispensable à la vie sur Terre. Au quotidien, l’Humanité respire, se loge, se nourrit ou même se chauffe grâce aux milieux naturels et à la biodiversité qu’ils renferment. Ces nombreux services assurés par la nature sont appelés des “services écosystémiques”. Il en existe trois grands types :
Les services d’approvisionnement regroupent les bénéfices matériels que nous offrent les écosystèmes : le bois, l’eau, la nourriture, etc.
Les services de régulation rendent l’environnement sûr et propice au développement de la vie : stockage du carbone, régulation des crues, accomplissement du cycle de l’eau, etc.
Les services culturels sont les activités de loisirs (tourisme, chasse, etc.), d’éducation ou encore le bien-être que procurent les écosystèmes.
Cette multitude de services écosystémiques fournis par la nature est possible grâce à l'existence d’une multitude de milieux différents. Par exemple, la régulation des crues se fait principalement par les milieux humides, la production de bois par les forêts, le stockage du carbone par les océans... Il est donc important de préserver l’entièreté de ces écosystèmes comme leur bon fonctionnement.
Cependant, aujourd’hui, 80 % des écosystèmes européens sont dégradés. Une telle altération des milieux naturels ne leur permet pas de jouer pleinement leurs rôles, ce qui conduit à une dégradation des services écosystémiques rendus par la nature.
Ainsi la dégradation des milieux naturels peut revêtir différentes formes. L’IPBES (la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) définit cinq grands facteurs de déclins des écosystèmes et de leur biodiversité :
La destruction et l’artificialisation des milieux naturels : il s’agit du changement d’usage des sols induit par l’Humanité, qui délaisse les habitats naturels au profit des milieux urbanisés et cultivés. Il conduit à la destruction, la fragmentation et la dégradation des habitats naturels et des sols. En France, 65 758 hectares ont été artificialisés chaque année en métropole sur la période 2006 - 2015, aux dépens des habitats naturels.
La surexploitation des ressources naturelles et le trafic illégal : la surpêche, le braconnage, ou encore la cueillette intensive, sont autant d’activités qui conduisent au déclin de la biodiversité. Les milieux ne pouvant plus compenser le prélèvement, ils ne se régénèrent plus et déclinent.
Le changement climatique : le changement climatique conduit à une augmentation des phénomènes naturels extrêmes tels que les incendies, les inondations ou encore les sécheresses. Ces évènements altèrent les milieux naturels qui deviennent de moins en moins résilients et résistants. Enfin, le mode de vie de certaines espèces est également altéré : modification de l’aire de répartition des populations, du début de la saison de reproduction, etc. Ces changements étant très rapides, les espèces n’ont pas le temps de s’adapter.
Les pollutions : les pollutions sonore, lumineuse et chimiques (pesticides, métaux lourds, médicaments, plastique, etc.) ont un impact négatif sur les écosystèmes et les espèces. Pour citer un exemple tristement célèbre, les néonicotinoïdes agissent sur le système nerveux des abeilles ce qui les empêchent de retrouver le chemin jusqu’à leur ruche, provoquant ainsi le déclin des populations.
L’introduction d’espèces exotiques envahissantes (EEE) : les EEE peuvent avoir différents impacts négatifs sur les espèces indigènes : compétition pour les ressources (nourriture, abris…), prédation/parasitisme, introduction de maladies… Or, depuis 1985, un département de l'Hexagone compte en moyenne quatorze espèces exotiques envahissantes de plus tous les dix ans.
Qu’est-ce que la restauration écologique ?
Afin de contrer la dégradation des milieux naturels, des actions de restauration écologique sont menées sur le terrain. Elles ont pour but de réparer les milieux endommagés afin qu’ils retrouvent leurs fonctions initiales de manière durable.
Il existe deux types de restauration écologique :
La restauration passive consiste en une diminution des pressions dégradant le milieu.
La restauration active qui, en plus de la diminution des pressions, implique des interventions humaines.
Chacun a des avantages et des inconvénients : la restauration passive prend du temps, mais elle ne nécessite pas de moyens humains et financiers particuliers, ni de connaissances pointues sur les écosystèmes. La restauration active est plus rapide mais coûteuse et nécessite un certain investissement humain.
Pour orienter au mieux les actions à mener, un écosystème de référence est choisi au début de chaque projet. Il est utilisé comme modèle, c’est-à-dire que chaque action mise en place doit contribuer à atteindre cet idéal.
Une fois les actions menées, il est nécessaire d’évaluer la réussite de la restauration. Pour cela, différents critères sont suivis (la similitude avec l’écosystème de référence, l’absence de pressions, le fonctionnement de l’écosystème, etc.), puis, des indicateurs sont calculés (la diversité d’espèces, la connectivité des milieux, etc.). C’est le résultat de cette évaluation qui permettra d’orienter la suite du projet.
Voici deux exemples de restauration de milieux naturels :
La restauration passive de milieux surpâturés consiste simplement à enlever la pression exercée sur le milieu, c’est-à-dire l’arrêt partiel ou total du pâturage agricole ou sauvage. Dans le cas de la faune sauvage, il suffit de délimiter l’espace que l’on veut restaurer par des clôtures afin d'empêcher les animaux d’y entrer. Le milieu est par la suite laissé en libre évolution, sans aucune action humaine. La dynamique naturelle de l’écosystème va alors reprendre le dessus : les espèces adaptées au milieu vont se réinstaller progressivement.
La restauration active de cours d’eau modifiés : Dans les années 1950, une politique de remembrement rural ayant pour but de faciliter l’exploitation des terres agricoles a été mise en œuvre. Le tracé de nombreux cours d’eau a alors été modifié afin d’obtenir des parcelles plus grandes et linéaires. Mais les milieux artificiellement créés présentent de nombreux dysfonctionnements : envasement, désoxygénation de l’eau, réduction des zones humides associées, etc. Plusieurs actions peuvent être menées sur ce type de chantier : rehaussement du lit, reconnexion aux autres cours d’eau, plantations de végétations adaptées, etc. Certains acteurs vont même jusqu’à remettre les cours d’eau dans leur lit d’origine.
Si participer à de tels projets vous intéresse, sachez qu’il est possible d’accompagner bénévolement les professionnels de la restauration écologique sur des “chantiers nature”. Ces sessions de terrain ont pour but de mener diverses actions en faveur des écosystèmes, telles que l’arrachage d’EEE, le débroussaillage, la plantation de haies, etc. Ces opérations servent à la fois d’atelier ludique et gratuit pour tous mais aussi à pallier le manque de moyens humains et financiers qui fait obstacle à la restauration des milieux.
Que prévoit la loi européenne ?
Le 18 août dernier, le Règlement européen sur la restauration de la nature est entré en vigueur après plus de 2 ans de préparation et de négociation. Ce texte, applicable en l’état dans chaque Etat membre de l’Union Européenne, sera mis en œuvre uniformément, rapidement et obligatoirement sur tout le continent.
Le règlement fixe des objectifs à moyen et long termes en faveur du rétablissement durable des milieux naturels et semi-naturels dégradés par l’Homme, dans l’ensemble des zones terrestres et marines de l’Union Européenne :
D’ici 2030, des mesures de restauration efficaces doivent être mises en place dans au moins 20 % des milieux naturels du continent, dont 30 % des surfaces évaluées en mauvais état.
En 2040, les mesures de restauration doivent couvrir 60 % des écosystèmes en mauvais état.
En 2050, elles doivent couvrir l’ensemble des écosystèmes ayant besoin d’être restaurés.
Ces mesures de restauration ont pour but d’atteindre une quantité et une qualité suffisante de chaque type d’écosystème. Pour cela, les pays vont devoir définir un modèle appelé “surface de référence favorable”. Toute mesure mise en place aura pour objectif d’arriver à cet idéal. Chaque Etat membre aura l’obligation de rendre compte de l’état de ses écosystèmes, jusqu’à ce que des niveaux satisfaisants soient atteints.
A noter que certains milieux, espèces et fonctions écologiques sont identifiés comme prioritaires dans le règlement : les zones Natura 2000, les écosystèmes urbains, agricoles, forestiers, mais aussi les populations de pollinisateurs et la “connectivité naturelle des cours d’eau et des fonctions naturelles des plaines inondables adjacentes”. Différents indicateurs seront suivis au niveau national, avec l’obligation d’obtenir une tendance à la hausse :
Pour les écosystèmes urbains : suivi de la surface des espaces verts urbains et du couvert arboré urbain.
Pour les pollinisateurs : suivi de la diversité des pollinisateurs, avec une obligation d’inverser le déclin des populations d’ici à 2030, puis d’augmenter les effectifs.
Pour les écosystèmes agricoles : suivi de l’indice des oiseaux communs des milieux agricoles. De plus, la tendance devra être positive pour au moins deux des trois indicateurs suivants :
L’indice des papillons de prairies
La part des terres agricoles présentant des particularités topographiques à haute diversité
Le stock de carbone organique dans les sols minéraux des terres cultivées
Pour les écosystèmes forestiers : suivi de l'indice des oiseaux communs des milieux forestiers. De plus, la tendance devra être positive pour au moins six des sept indicateurs suivants :
Le bois mort sur pied
Le bois mort au sol
La part des forêts inéquiennes (forêts d’arbres d’âges, de hauteurs et d’espèces variés)
La connectivité des forêts
Le stock de carbone organique
La part des forêts où prédominent les essences d’arbres indigènes
La diversité des essences d’arbres
Enfin, le texte de loi prévoit des objectifs connexes tels que l’amélioration des connaissances et du suivi de l’état des écosystèmes, ou encore leur non-détérioration. Il vise également à contribuer à la plantation d’au moins trois milliards d’arbres d’ici à 2030 à l’échelle de l’Union Européenne.
D’ici 2 ans, chaque Etat membre devra avoir mis au point un “Plan National de Restauration” pour la période 2026 - 2050. Pour leur construction, un état des lieux des connaissances disponibles concernant l’état des écosystèmes et les méthodes de restauration sera mené sur les territoires. Cela permettra d'identifier les lacunes de connaissances et de restauration, mais aussi de déterminer les méthodes les plus efficaces. Sur cette base, le plan décrira les actions qui seront mises en œuvre pour atteindre les objectifs du Règlement.
Ce règlement ambitieux et inédit, considéré comme un “jalon historique” par le WWF, présente néanmoins certaines faiblesses.
Bien que l’application de ce texte soit en théorie obligatoire dans toute l’Union Européenne, il existe quelques dérogations et exceptions. Si un État membre considère qu’il n’est pas possible d’atteindre les objectifs fixés par la loi d’ici à 2050 et si cette estimation est accompagnée de justifications suffisantes, il est autorisé à diminuer les pourcentages cibles cités précédemment. D’autre part, si un événement exceptionnel nécessitant une mobilisation des terres à des fins agricoles survenait dans l'Union Européenne, le Règlement pour la Restauration de la Nature serait suspendu. Le type d'événement exceptionnel concerné n’est pas précisé dans le texte, il peut donc laisser place à toutes sortes d’interprétations.
Enfin, le règlement a été largement modifié depuis la première version présentée au Parlement Européen en 2022. Les agriculteurs l’avaient vivement contestée et rejetée considérant ce texte comme une menace pour leur activité. En réponse à cette forte pression, l’adoption de la loi a été retardée de plusieurs mois et son contenu revu à la baisse. Par exemple, dans la version adoptée en 2024, la remise en eau des tourbières sur les terres agricoles est facultative et basée uniquement sur du volontariat, ce qui n’était pas le cas à l’origine.
Il est donc possible que la rédaction du Plan National de Restauration et son application rencontrent des difficultés similaires en se heurtant à différents lobbies ou partis politiques aux intérêts divergents.
Pour aller plus loin
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