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Limiter l’impact de l’aviation sur le climat : quelles solutions ?

Dernière mise à jour : 15 juil.


Les émissions de gaz à effet de serre (GES) causées par le secteur aérien ont considérablement augmenté depuis les années 70. Or, depuis de nombreuses années, les rapports du GIEC alertent sur les risques et conséquences irrémédiables de l’augmentation continue de la concentration de GES. Il semble alors intéressant de se pencher sur les solutions qui pourraient, à l’avenir, potentiellement permettre de réduire les émissions causées par l’aviation.


 

Plus de 100 000 vols ont lieu chaque jour à travers la planète. L’immense majorité de ces vols consomment du kérosène, un mélange d’hydrocarbures qui sert de carburant aux avions. C’est un carburant d’origine fossile qui est issu du pétrole. Or, les réserves pétrolières sont physiquement limitées puisque le pétrole est une ressource naturelle non-renouvelable. Il est, certes, très difficile de prévoir le moment où cette ressource sera épuisée puisque les stocks réels sont difficilement estimables mais l’intensité de notre consommation conduira tôt ou tard à des pénuries. À cela s’ajoute évidemment la problématique de la pollution excessive causée par la production, la distribution et la combustion du kérosène. Les fortes émissions de GES actuellement générées par l’aviation ne sont pas en adéquation avec l’ambition de la neutralité carbone du secteur en 2050. Le cumul du risque climatique et du risque d’épuisement des stocks de pétrole nécessite que des changements majeurs soient opérés au cours des prochaines années.



L’utilisation de l’hydrogène, révolutionnaire ?


Une des solutions qui est souvent évoquée à travers les médias est la future conception d’avions à hydrogène. Cette technologie crée un fort engouement puisque la promesse de vols sans émission de CO2 est alléchante. Cependant, le développement d’avions commerciaux à hydrogène se heurte en réalité à de multiples barrières.


Premièrement, à l’heure actuelle, la quasi-totalité de l’hydrogène (99%) produit mondialement provient d’énergies fossiles. Il s’agit du procédé de production le moins cher mais le plus nocif pour l’environnement car il engendre de fortes émissions de GES. Pour réduire significativement l’empreinte carbone de l’aviation, il faut en réalité utiliser de l’hydrogène « vert » qui résulte de l’électrolyse de l’eau, à partir d’électricité qui provient d’une énergie bas-carbone. On note que ce procédé reste aujourd’hui nettement plus cher et ne représente donc qu’une faible part de l’hydrogène produit. Cependant, sa part sur le marché progresse et est vouée à fortement augmenter au cours des prochaines années. Par exemple, une directive adoptée par l’UE en 2023 impose au secteur industriel d’utiliser au moins 42% d’hydrogène issu de sources renouvelables d’ici 2030. Cette nouvelle directive devrait naturellement encourager le développement de l’hydrogène produit à partir d’électricité renouvelable. Reste à savoir si l’augmentation de production sera suffisamment conséquente pour en fournir une quantité importante au secteur aérien, sachant que la production d’électricité renouvelable ne sera pas infinie.



L’hydrogène a des caractéristiques physiques bien différentes de celles du kérosène. Elles nécessitent de repenser l’architecture des avions et l’écosystème aéroportuaire de manière générale. Cela est notamment dû aux contraintes liées à sa faible densité énergétique par unité de volume. En effet, pour un volume donné, le contenu énergétique de l’hydrogène est beaucoup plus faible que celui du kérosène. Or, l’espace disponible dans un avion étant restreint, il est nécessaire de liquéfier l’hydrogène en le portant et le maintenant à une température extrêmement basse (-253°C) pour augmenter sa densité énergétique. Il s’agit d’une opération énergivore et complexe mais nécessaire pour permettre aux avions de transporter suffisamment d’hydrogène pour effectuer un vol. Malgré sa liquéfaction, l’hydrogène liquide reste 4 fois plus volumineux que le kérosène. À bord des avions, il nécessite d’être stocké dans des réservoirs cryogéniques cylindriques ou sphériques et il ne « peut pas être logé partout dans les ailes comme on le fait aujourd’hui » a déclaré Patrick Gandil, ancien directeur général de la Direction générale de l'Aviation civile. Ces éléments constituent une vraie contrainte dans la conception du stockage, de la distribution à bord et du ravitaillement des avions. C’est également pourquoi l’avion à l’hydrogène est pour l’instant étudié pour des vols court ou moyen-courriers uniquement.


Une autre problématique posée par l’hydrogène est relative aux risques de sécurité liés à l’utilisation de ce vecteur énergétique. La molécule d’hydrogène est caractérisée par sa très petite taille et donc par sa haute propension à fuir. Au-delà des risques de fuites, le caractère fuyard de l’hydrogène pourrait également poser des problèmes vis-à-vis de la fragilisation des aciers et, de manière générale, de la dégradation des installations dans le temps. L’hydrogène est également hautement inflammable et nécessite une attention particulière à l’égard de ses risques d’explosion, notamment lorsqu’il est en espace clos. Tous ces risques impliquent donc la mise en place de stratégies d’atténuation et de prévention conséquentes pour que le développement d’avions à hydrogène soit possible et souhaitable.



Réservoirs cryogéniques de stockage d’hydrogène liquide
Réservoirs cryogéniques de stockage d’hydrogène liquide (Source : Airbus)


La chaîne d’approvisionnement de l’hydrogène pose encore beaucoup de questions et différents scénarios sont toujours à l’étude. Le ravitaillement des avions notamment est un vrai sujet puisque l’infrastructure qui y sera dédiée devra faire l’objet d’un développement uniforme sur les aéroports concernés par le départ d’avions à hydrogène. Cette condition est nécessaire au déploiement de ce nouveau type d’avions pour assurer leur compatibilité avec les divers aéroports. Cependant, diverses réglementations sont applicables dans le cadre de ces nouvelles installations et elles varient selon les pays. Il est donc important d’en tenir compte pour que les infrastructures puissent être déployées à l’étranger. Airbus et ArianeGroup travaillent ensemble à la construction de la première station de ravitaillement en hydrogène liquide qui sera théoriquement opérationnelle en 2025. Elle se situera à l’aéroport de Toulouse-Blagnac et s’inscrit dans le projet ZEROe d’Airbus qui a pour ambition de mettre sur le marché le premier avion commercial à hydrogène en 2035. Pour y parvenir, le constructeur aéronautique explore différentes configurations et plusieurs technologies. Airbus ne sait par exemple pas encore avec certitude si l’avion en question volera grâce à la combustion directe d’hydrogène ou grâce à la conversion d’hydrogène en électricité dans des piles à combustible. Pour l’instant, ces deux technologies sont étudiées et développées par le constructeur aéronautique.


En bref, de nombreux défis sont encore à relever pour développer à grande échelle les avions à hydrogène. Bien qu’à long terme leur déploiement contribuera probablement en partie à une réduction des émissions carbone du secteur aérien, il ne s’agit pas d’une solution miracle.


 


L’enjeu des carburants durables d’aviation (SAF)


Les carburants durables d’aviation, appelés Sustainable Aviation Fuels (SAF) en anglais, constituent une autre solution pour limiter l’usage du kérosène. Il en existe deux types : les biocarburants produits à partir de biomasse et les électro-carburants, aussi appelés e-carburants, qui sont des carburants de synthèse fabriqués à partir d’hydrogène bas-carbone combiné à du CO2 préalablement capté. L’usage des SAF est encore marginal puisqu’en 2019 ils correspondaient à peine à 0,1% des carburants utilisés dans le secteur de l’aviation. Cependant, la réglementation ReFuelEU Aviation adoptée en 2023 impose qu’une part croissante de biocarburants et d’e-carburants soit incorporée au kérosène des vols au départ de l’UE, en passant notamment progressivement de 2% de SAF en 2025 à 70% en 2050. De plus, des aides financières ont été débloquées en France pour soutenir les projets de production de SAF. Cela devrait permettre de développer cette filière.


Un avantage majeur des carburants durables d’aviation est qu’ils peuvent être utilisés dans les avions actuels sans avoir à les modifier, tant qu’ils sont mélangés à une part suffisamment importante de kérosène. Les vols commerciaux sont pour l’instant autorisés avec un maximum de 50% de SAF mais Airbus espère que ses avions pourront obtenir la certification nécessaire pour voler avec 100% de SAF avant la fin de la décennie.


Les grands espoirs qui reposent sur les carburants durables d’aviation sont dus aux importantes réductions d’émissions de CO2 qu’ils pourraient permettre. Ils constituent notamment une alternative intéressante pour réduire les émissions des vols long-courriers, contrairement à l’hydrogène qui est développé pour les vols court et moyen-courriers à l’heure actuelle. L’intérêt singulier des biocarburants est que la biomasse à partir de laquelle ils sont produits a capté du CO2 lors de sa croissance, avant sa transformation. En tenant compte du cycle de vie entier des biocarburants, une diminution des émissions de CO2 est alors souvent mesurée, en comparaison aux émissions du kérosène fossile. Cette réduction est variable et dépend en réalité grandement de la matière d’origine impliquée : son origine géographique, son transport, le potentiel changement d’affectation des sols impliqué etc. Les carburants dérivés de palme et de soja sont considérés comme plus polluants que le kérosène, notamment à cause des risques de déforestation et de changement d’usage des sols qui leur sont associés. Depuis 2024, ils ne sont dorénavant plus considérés comme des carburants durables. Il en va de même pour les carburants produits à partir de cultures traditionnellement destinées à l’alimentation : ils ne sont plus considérés comme des carburants durables. Au cours des prochaines années, ces carburants produits à partir de cultures destinées à l’alimentation ou dérivés de palme ou de soja ne contribueront donc pas à atteindre la part de SAF imposée par l’UE.



Les ressources initialement utilisées pour produire des SAF est un sujet important puisque la biomasse durable (huiles de cuisson usagées, résidus agricoles/forestiers lignocellulosiques, déchets organiques, certaines graisses animales impropres aux usages alimentaires etc.) est limitée en quantité et convoitée par différents secteurs. Elle va alors faire l’objet de compétitions d’usages et son utilisation nécessitera donc des arbitrages. Une grande incertitude plane encore sur la quantité de biomasse durable mobilisable et sur la part qui sera allouée à la production de SAF. Cette problématique de ressources est la même concernant les e-carburants dans la mesure où leur production nécessitera potentiellement qu’une part significative de l’électricité bas-carbone soit consacrée à cette filière, alors que de nombreux secteurs convoitent cette énergie. La production d’électro-carburant ayant un faible rendement, dans un contexte d’arbitrage, il conviendra de s’interroger quant à la pertinence de privilégier la production d’e-carburant pour l’aviation plutôt qu’utiliser l’électricité bas-carbone disponible pour un autre secteur. À terme, l’un des défis sera de pouvoir produire suffisamment de carburants bas-carbone pour couvrir la demande. Or, si la croissance du trafic aérien continue d’augmenter comme les prévisions l’indiquent, cela deviendra probablement impossible au vu des ressources limitées.

 


L’optimisation des avions et de leurs trajets


Des améliorations technologiques ainsi que des modifications de trajectoires et des optimisations du roulage au sol pourraient également permettre de réduire l’impact climatique des trajets aériens.


On sait par exemple que certaines zones sont propices à la formation de traînées de condensation. Des études indiquent qu’une légère modification de l’altitude de vols précis ou de leurs trajectoires pourraient permettre de fortement diminuer les effets non-CO2 induits par l’aviation. Cette piste pourrait donc être explorée dans les prochaines années, en tenant évidemment compte de la surconsommation de carburant engendrée afin de s’assurer que les effets soient bénéfiques au global.


La construction de modèles d’avions plus légers, l’amélioration de leur aérodynamisme ou encore le développement de moteurs moins énergivores sont autant d’autres perspectives qui permettraient de rendre ce moyen de transport moins polluant. 

 

Avion dans le ciel


Taxes & marché des quotas d’émissions carbone


Le secteur aérien bénéficie actuellement d’importantes exonérations fiscales. L’organisation européenne Transport et Environnement (T&E) a récemment publié une étude selon laquelle, en 2022, la France s’est privée de 4,7 milliards d’euros de recettes potentielles dû à des niches fiscales. Ce chiffre s’élève à 34,2 milliards à l’échelle de l’Europe. Or, ces ressources auraient notamment pu contribuer à financer la décarbonation du secteur des transports.


T&E évoque trois mesures qui permettraient de taxer plus justement le secteur et qui auraient pu permettre d’obtenir en 2022 les 34,2 milliards d’euros de recettes évoqués. Premièrement, l’organisation suggère de taxer tous les billets d’avion au départ d’aéroports européens au taux normal de TVA de 20 %. Aujourd’hui, seuls les vols domestiques peuvent être soumis à la TVA et chaque pays choisit le taux qu’il souhaite appliquer. La France applique par exemple un taux réduit de 10 %. T&E recommande également de supprimer l’exonération de taxe sur le kérosène pour tous les vols au départ de l’Europe. Bien qu’une taxe sur le kérosène des vols commerciaux puisse d’ores et déjà être mise en place par les pays pour leurs vols intérieurs, rares sont ceux qui en appliquent une. En Europe, seules la Norvège et la Suisse ont fait ce choix. De même, aucun accord bilatéral n’a été mis en place entre pays membres de l’UE alors qu’ils en ont la possibilité. La troisième mesure suggérée par T&E est l’extension du marché des quotas d’émissions de carbone (EU-ETS), de sorte qu’il couvre toutes les émissions des vols au départ d’aéroports européens et que les compagnies aériennes ne reçoivent plus de quotas gratuits. En effet, pour l’instant, de nombreux quotas d’émissions gratuits sont alloués aux compagnies aériennes. Cependant, ce privilège n’existera plus d’ici 2026 puisque les compagnies aériennes ne recevront plus de quotas gratuits, sauf en contrepartie de l’usage de SAF. À partir de 2026, les compagnies aériennes devront donc financer l’intégralité (ou quasi-intégralité) des émissions générées par leurs vols européens en achetant des « droits à polluer ». En revanche, seuls les vols intra-européens sont soumis à ce marché pour l’heure. Par conséquent, la majorité des émissions de CO2 de l’aviation européenne sont ignorées.



Ces mesures pourraient permettre de récolter des fonds pour financer le développement de transports plus propres. Elles pourraient également permettre de réduire le trafic via une hausse des prix des billets d’avion qui pourrait engendrer une baisse de la demande. De cette façon, T&E estime que si ces trois dispositifs avaient été mis en place en 2022, cela aurait pu permettre d’éviter l’émission de 35 millions de tonnes de CO2, avec un impact climatique global encore plus élevé en tenant compte des effets non-CO2. Également, une taxe appliquée sur le kérosène permettrait de favoriser le passage à des carburants plus propres. À ce sujet, l’UE prévoit de réviser la directive sur la taxation de l’énergie depuis plusieurs années, notamment pour supprimer l’exonération de taxe sur le kérosène. Cependant, la modification de la politique fiscale de l’UE requiert l’unanimité des 27 Etats membres qui n’ont pour l’instant pas réussi à trouver de terrain d’entente.


En France, une éco-contribution est appliquée sur les billets d’avion depuis 2020. Elle varie de 1,50 euros à 18 euros selon la destination du vol et la classe de sièges du billet (économique ou affaires/première classe). C’est un montant très faible proportionnellement au prix de certains billets donc l’impact de cette taxe est limité. La Convention citoyenne pour le climat avait suggéré d’augmenter son montant mais la proposition n’a pas été retenue. Or, en attendant la mise en place des trois mesures détaillées précédemment, T&E recommande de relever immédiatement la taxe sur les billets. En 2023, une augmentation de la taxe sur les billets avait été évoquée mais c’est finalement une taxe sur les grands aéroports français qui a été choisie. Les recettes de cette taxe contribueront notamment au financement du développement des infrastructures du secteur ferroviaire. Rendre les transports peu polluants plus attractifs est essentiel pour que les voyageurs aient davantage envie de les privilégier.


La question de justice sociale est régulièrement abordée dans les médias lorsque le sujet des taxes sur les billets est évoqué. La mise en place d’une taxe progressive pourrait être une piste intéressante à explorer pour permettre de financer la décarbonation du secteur des transports, tout en constituant un vecteur de justice sociale. Comme le suggère le think tank The Shift Project, cette taxe pourrait être indexée sur la fréquence de voyages des individus et la distance parcourue. Les voyageurs qui empruntent fréquemment l’avion et/ou l’empruntent sur de longues distances sont ceux qui polluent le plus, il semble donc légitime qu’ils paient un surcoût. Une telle mesure pourrait également permettre d’inciter les voyageurs à repenser leur façon de voyager en réduisant leur nombre de déplacements. De manière générale, réduire son propre usage de l’avion est essentiel et la baisse du trafic aérien semble indispensable pour limiter significativement le réchauffement climatique.



 

 Pour retrouver la première partie de cet article : En quoi prendre l'avion pollue (beaucoup) ?

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