La surface de la forêt française s'est accrue de près de 100% depuis 1850, passant, en métropole de 8 à 17 millions d'hectares. Fortement impactée par la main de l'homme, nos forêts sont aujourd'hui façonnées par les usages économiques, sylvicoles et cynégétiques, au point d'en oublier les autres rôles joués par ces écosystèmes. Les aménités de la forêt, c'est-à-dire les services et fonctions écologiques dépassent largement la production de bois. Que ce soit pour l'amélioration de la qualité de l'air, la préservation d'une biodiversité, la filtration des eaux et la régularisation de leur circulation, la stabilité des sols, le stockage du carbone ou encore les fonctions sociales, les forêts jouent de nombreux rôles essentiels à l'environnement.
Or le cycle de régénération des forêts des forestiers, favorable à une récolte du bois et s'appuyant sur une régénération naturelle par des semenciers sélectionnés, n'est pas celui de la forêt naturelle. Le cycle sylvogénétique naturel est de 500 à 700 ans, quand les forêts exploitées sont interrompues parfois avant l’âge de maturité des arbres.
Plus de 90% de la surface forestière française est utilisée pour la production de bois : bois d'oeuvre, bois industrie ou bois énergie. Et seulement 0,2% est considérée à l’état naturel, généralement par inaccessibilité mais de plus en plus en plus par choix. C'est un fait : une forêt exploitée est une forêt dont le cycle de vie des arbres est raccourci. L'Homme ne laissant plus qu'une place infime au vieillissement des arbres, il impacte durablement la biodiversité forestière associée. Les phases de vieillissement et de dégradation des arbres sont court-circuitées par la récolte des bois, elles sont pourtant primordiales pour le fonctionnement de l’écosystème et pour de nombreuses espèces, qui se nourrissent de bois mort.
Absents de nombre de nos forêts, les vieux arbres et le bois mort n'offrent donc pas les refuges et aliments indispensables à ce cortège d'espèces dépendantes : communauté saproxylique tels que champignons ou mousses, mais aussi insectes ou oiseaux... Toute une partie de la diversité biologique liée à ces stades d’évolution que sont la vieillesse puis la décomposition des arbres se raréfie. Mécaniquement c'est une baisse de la biodiversité comme de la fertilité des sols qui s'ensuit. On estime que 25% de la biodiversité forestière est associée aux bois morts. En prélevant les arbres entre 50 et 200 ans, les interventions humaines perturbent certaines composantes du cycle naturel de la forêt et réduisent son rôle essentiel.
Les différentes communautés saproxyliques qui se succèdent au fur et à mesure de la décomposition du bois jouent un rôle majeur dans les écosystèmes forestiers. Leur fonction écologique est une phase essentielle du recyclage de la matière organique, participant activement à la création des sols forestiers comme au stockage du carbone. Ainsi cette faune et flore spécialisée stockent une partie du carbone atmosphérique dans les sols et permettent aux forêts de pleinement jouer leur rôle de puits de carbone. Ces réservoirs que sont les sols et les végétaux contribuent à diminuer la quantité de CO2 atmosphérique, ce dernier influant directement sur le climat.
Préserver cette biodiversité forestière
Pour qu'une forêt soit riche et diversifiée, il est nécessaire qu'elle conserve ses vieux arbres et son bois mort sur pied ou au sol. Laisser des arbres morts ou sénescents dans les peuplements lors des exploitations commence à être pris en compte, bien qu'aucune réglementation ne le prévoit, mais cela dépasse rarement 2 à 3 arbres par hectare. L'ONF, en charge des forêts publiques, a été pionnier dans ce domaine en France en recommandant dès 1993 le maintien d’arbres disséminés favorables à la biodiversité. Une politique renforcée depuis une quinzaine d'années qui a également permis le développement d'îlots de sénescence. Ces zones rendues à la nature sont laissées en " libre évolution ", préservées de toute intervention humaine. En forêt domaniale, l’objectif minimum est de classer 1 % de la surface forestière boisée en îlots de sénescence mais également de développer la trame vieux bois intégrant des îlots de vieillissement et des arbres isolés appelés aussi arbres habitats. En forêt privée, qui représente 75% des forêts françaises, les initiatives sont plus rares et se résument souvent à deux cas de figure : les propriétaires acceptant de laisser quelques arbres habitats ponctuer leur exploitation, et l'absence de gestion de certains propriétaires. Cette libre évolution de fait permet de conserver gros arbres, bois mort et micro habitats particuliers (cavités, fentes, coulées de sève, polypores...) pendant un temps limité.
Aujourd'hui, les nouveaux boisements sont en général des forêts de production. Pour l'exploitation forestière les essences sont sélectionnées pour produire un type de bois, ou répondre à un marché. Les peuplements sont généralement réduits à une ou deux essences (75% des forêts métropolitaines) et les autres essences supprimées. Le milieu devient ultra-simplifié et témoigne d'un appauvrissement croissant de la diversité forestière. Ce qui fait la richesse d’un milieu, comme sa capacité de résilience, c’est sa diversité : diversité d’essences, d’âges, d’étages de végétation… Or laisser délibérément en libre évolution une forêt est, du point de vue du propriétaire forestier, une perte de revenu. Un concept difficile à accepter, notamment pour les îlots de sénescence, qui malgré un gain en biodiversité et en stabilité des écosystèmes ne permettent pas de compenser la perte financière.
Favoriser la biodiversité, c'est favoriser le retour d'espèces inféodées aux forêts matures et sénescentes. C'est aussi renoncer à intervenir comme à prélever bois et autres produits de la forêt. Si en forêt domaniale cette démarche est aujourd'hui obligatoire, en forêt privée, elle est peu valorisée mais parvient à s'insérer dans des dispositifs de préservation de l'environnement plus globaux tels que les zones Natura 2000 ou les réserves et parcs naturels. Une prise de conscience indispensable qui commence à peine à porter ses fruits.
Quelques exemples :
En foret privée, le Parc Naturel Régional des Volcans d'Auvergne s'associe aux propriétaires locaux pour la préservation de la biodiversité.
En forêt privée, le RAF ou Réseau pour les Alternatives Forestières a créé le fond de dotation Forêts en vie en partie dédié à la libre évolution des forêts acquises.
En forêt publique, l'ONF développe des îlots de sénescence en forêt domaniale et communale dans le cadre du Parc Naturel Régional des Vosges du Nord.
En forêt publique, la ville de La Motte-Servolex, est la première commune de la Région Rhône-Alpes à avoir inscrit 20,56 ha de sa forêt en îlots de sénescence.
Comments