En France, 90 % de la surface forestière est utilisée pour la production de bois. Et certaines pratiques de gestion sylvicole ont un impact fort sur la biodiversité forestière. Si la libre-évolution est la réponse pour laisser les écosystèmes accomplir leur cycle de vie complet, il n’en demeure pas moins que nos sociétés ont depuis toujours besoin du bois et des co-produits issus des forêts. Comment concilier dès lors les différents usages qui sont fait de nos forêts tout en améliorant l’accueil du vivant dans ces milieux ?
Qu’est-ce que l’Indice de Biodiversité Potentielle ?
L’Indice de Biodiversité Potentielle ou IBP est un outil de diagnostic développé par le Centre national de la propriété forestière (CNPF) et l’Institut national de recherche agronomique (INRAE). Il est basé sur l’évaluation de dix facteurs clés qui influencent la capacité des peuplements forestiers de France métropolitaine à accueillir la biodiversité.
L’IBP est initialement destiné aux gestionnaires et propriétaires forestiers afin d’intégrer la prise en compte de la biodiversité dans leur gestion. En leurs fournissant des clés de compréhension il leur permet d’identifier les éléments favorables ou pratiques sylvicoles améliorables.
Les forêts laissées à leur dynamique naturelle évoluent selon des cycles de près d’un demi millénaire. Or, la sylviculture - ou gestion forestière - se pratique quant à elle sur des périodes nettement plus courtes. En raccourcissant le cycle de vie des arbres, elle impacte directement ou indirectement les espèces vivantes dépendantes des stades matures ou sénescents.
Si le suivi scientifique offre déjà une bonne compréhension des interactions et effets des techniques employées en forêt, certaines pratiques actuellement employées ne permettent pas une prise de recul suffisante pour juger de leurs impacts à long terme. L’IBP offre donc un moyen de garder à l’esprit les dynamiques écosystémiques qui conditionnent le maintien de la forêt en tant qu’écosystème, et sa bonne santé.
Les bénéfices de la biodiversité en forêt
Selon l'OFB " La biodiversité désigne l’ensemble des êtres vivants ainsi que les écosystèmes dans lesquels ils vivent. Ce terme comprend également les interactions des espèces entre elles et avec leurs milieux."
Élément central de nos forêts, les arbres ne sont pour autant pas les seuls acteurs de la biodiversité dans ce milieu. Celle-ci est en effet le siège de nombreuses interactions entre les espèces animales, végétales, fongiques, microbiennes... chacune participant à l’abondement de l’autre, le tout formant un écosystème complexe. L’évolution du peuplement forestier peut être analysé au travers de trois grandes phases, durant lesquelles la biodiversité participe au maintien d’un écosystème fonctionnel.
Lors de sa phase de régénération, la biodiversité participe à la pollinisation, à la dispersion des graines et à la préparation de substrats propices à la régénération des essences d’arbres.
Lors des phases de croissance et de productivité des arbres, la biodiversité participe au maintien de fertilité du sol par la décomposition de la matière organique morte et la redistribution des nutriments. Elle contribue à la résistance, résilience, et persistance de la forêt en régulant les espèces à fortes dynamiques, en la protégeant contre des pathogènes racinaires et en lui conférant une protection face aux perturbations extérieures (tempêtes, incendies, etc.)
Dix indicateurs clés
Basé sur dix facteurs clés, l’IBP permet d’appréhender et prendre en compte une partie des interactions complexes entre les espèces de l’écosystème forestier. Ces indicateurs renseignent également sur les dynamiques à l’œuvre, qui s’opèrent parfois sur plusieurs siècles. Chacun de ces facteurs peut être noté avec la valeur 0, 2 ou 5. Celle-ci est déterminée en comparant les observations du terrain analysé, à une échelle de référence déterminée par les travaux des auteurs de l’outil. Ces notes représentent respectivement une situation peu favorable, favorable ou très favorable pour la biodiversité.
L’IBP s’appuie sur 10 facteurs distincts et complémentaires :
Essences autochtones
Ce facteur décrit la diversité des essences qui composent le peuplement forestier de la parcelle analysée. En effet, les arbres étant les éléments dominants de l’écosystème, la variété des essences influe sur la présence des autres espèces en forêt. Chaque essence ayant des caractéristiques biologiques qui lui sont propres, elle oriente la composition des différents groupes d’espèces qui lui sont liés (cortèges). Ainsi, plus il y a d’essences dans une forêt, plus il y aura une diversité d’espèces animales, végétales, fongiques...
Structure verticale de la végétation
Ce facteur décrit la superposition des strates végétales de hauteurs différentes. Ces strates sont influencées par plusieurs facteurs, dont le type d’essence, l’âge des individus et les perturbations naturelles. Chaque strate possède des caractéristiques d’environnement qui lui sont propres, comme la luminosité, les conditions microclimatiques et l’encombrement. Cette stratification offre ainsi une pluralité d’habitats pour différents types d’espèces, adaptées à ces conditions. Ainsi, plus le nombre de strates est important dans un peuplement, plus il est à même d’accueillir une riche biodiversité.
Bois mort sur pied et au sol
De nombreuses espèces consomment le bois mort afin de bénéficier de ces éléments nutritifs. D’autres s’en servent également comme support d’habitats. L’ensemble de ces espèces vivant en interaction avec le bois mort s’appellent les saproxyliques. Chaque bois mort possède des caractéristiques qui lui sont propres (diamètre du tronc, niveau de décomposition, essence, position sur pied, position au sol, etc.). Ainsi, plus grande est la variété de bois mort, plus les cortèges associés seront importants. Enfin ces espèces saproxyliques participent à la décomposition du bois et donc à l’enrichissement en nutriments du sol, permettant ainsi la régénération de la forêt.
Les très gros bois vivants
Le terme de « très gros bois vivant » fait référence aux individus dont le diamètre du tronc à leur base (mesure réalisée à env. 1.30 m de hauteur du sol) fait plus de 70 cm. Bien que cette caractéristique soit influencée par plusieurs facteurs, l’ampleur tronc est souvent signe d’un âge avancé. En raison de la courte temporalité des cycles sylvicoles cumulée aux perturbations naturelles, la population de ces grands individus est malheureusement faible. Or, du fait de leur grande taille (surface d’écorce importante, canopée importante) et de leur âge avancé (apparition de crevasse, etc.) ils sont d’excellents supports pour les dendromicrohabitats (DMH) et donc pour l’abondance de biodiversité.
Arbres vivants porteurs de dendromicrohabitats
Les cavités et les fentes offertes par des morphologies atypiques de certains arbres offrent à de nombreuses espèces des lieux de nutrition, de repos, d’hibernation et de reproduction. Certains de ces habitats contiennent également du bois mort (cavités à terreau, branches mortes...) ou de l’eau (dendrotelmes). L’ensemble de ces caractéristiques offrent une diversité d’habitats, propice à l’accueil d’une multiplicité d’espèces.
Milieux ouverts
Les milieux ouverts, comme les trouées, les clairières ou les lisières permettent une pénétration de la lumière dans les strates inférieures de la forêt et influent en conséquence sur les conditions microclimatiques. Ces conditions spécifiques sont bénéfiques à l’apparition des nouvelles espèces végétales, animales et fongiques. Ainsi, la pluralité des types de milieux ouverts s’accompagne également d’un foisonnement de la biodiversité.
Continuité temporelle de l’état boisé
La continuité temporelle correspond à la continuité de la présence du peuplement au cours du temps. Est dite ancienne, une forêt n’ayant pas subi de défrichement depuis le minimum forestier (1850), autrement dit dont la présence est continue sur un territoire depuis plus de 150-200 ans. En effet, il a été observé que la biodiversité différait selon si elle était liée à une forêt récente ou ancienne. Ces différences sont principalement dues à l’altération des sols (par ex. une quantité de phosphore élevée après une exploitation agricole) ou encore la capacité de certaines espèces à recoloniser les forêts récentes (les oiseaux le feront plus facilement que de petits insectes ou des champignons).
Milieux aquatiques et milieux rocheux
Les caractéristiques spécifiques liées à ces deux types de milieux (rivière, source, tourbière, grotte, falaise, amoncellement de blocs, etc.) que l’on peut croiser en forêt sont propices à la présence d’une biodiversité qui leurs sont spécifiques.
L’analyse de ces facteurs permet ainsi d’obtenir une métrique objective et comparable de la parcelle analysée, quant à sa capacité à accueillir de la biodiversité. La présence de multiples facteurs au sein d’un même peuplement profite ainsi à la biodiversité en milieu forestier. En garantissant habitats, lieux de reproduction et nutrition à de nombreuses espèces végétales, animales et fongiques, l’écosystème forestier bénéficie d’une meilleure capacité d’adaptation et de résilience face aux aléas. L’Indice de Biodiversité Potentielle permet d’identifier les points forts comme les faiblesses d’une gestion sylvicole sous le prisme de l’accueil de vivant. Au-delà du diagnostic il permet surtout de rapidement faire ressortir les mesures à mettre en œuvre dans les actes de gestion des forêts exploitées. Et ce afin de concilier production de bois avec maintien d’une biodiversité élevée.
Si l’IBP est formidable outil pour les gestionnaires et propriétaires forestiers, il peut également être un levier d'action puissant pour les citoyens désireux de mieux appréhender le lien entre sylviculture et protection du vivant.
Pour aller plus loin :