Pêche, accord de Kunming, lutte contre la déforestation importée… Retour sur les actions et mesures de préservation de la biodiversité en 2022. L’année 2022 s’est achevée il y a quelques mois maintenant, et a été marquée par de nombreux événements qui ne sont malheureusement pas de bon augure pour la biodiversité. Toutefois quelques bonnes nouvelles écologiques (ou presque) ont ponctué l’année passée.
Réintroduction du jaguar en Argentine
En début d’année 2022, l’Argentine a relâché un jaguar mâle pour la première fois dans le parc national d'Iberá. Le jaguar fait partie des espèces les plus menacées au monde : malheureusement ces quinze dernières années sa population a chuté de près de 80 %. L’un des problèmes majeurs réside dans la réduction de ses habitats naturels au profit de pâturages ou des plantations de bois. Au cours des deux derniers siècles, le jaguar a perdu plus de 95 % de son aire de distribution. Par ailleurs, ce félin est également menacé par le braconnage qui demeure une tradition en Argentine.
La bonne nouvelle étant qu’un individu de l’espèce a été relâché par la fondation Rewilding Argentina début janvier dans le parc Iberá, le plus grand parc national d'Argentine. Son nom est Jatobazinho, et il s’agit du huitième jaguar à avoir été "rendu" à la vie sauvage. Il a été précédé de trois femelles et quatre petits.
Cependant, une réintroduction réussie ne se fait pas sans contraintes, certaines conditions doivent être respectées. En effet, " pour être relâchés, les animaux doivent savoir chasser - nous leur fournissons des proies vivantes - et ils ne doivent pas avoir de contact humain " explique à l'AFP Sebastian di Martino, directeur de conservation de Rewilding Argentina.
Les terrasses chauffées, c’est fini !
Première métropole de France à avoir banni les terrasses chauffées, Rennes a rapidement été suivie par Lyon et Arras.
Depuis le 1er avril 2022, le Ministère de la Transition Ecologique a voté un décret interdisant désormais le chauffage des terrasses de cafés dans toute la France, jugé nocif pour l’environnement. Proposée au printemps 2021 puis repoussée cette mesure devrait permettre une économie non négligeable de 500 000 tonnes de CO2 par an, soit l’équivalent d’émissions moyennes de 300 000 voitures, selon le Ministère. Le décret s’inscrit dans un contexte plus large, celui de la lutte contre le dérèglement climatique et constitue l’une des propositions de la Convention citoyenne pour le climat visant à réduire la consommation d’énergie. Néanmoins certaines activités échappent à cette interdiction :
les chapiteaux fermés des cirques et des activités foraines ;
les installations mobiles couvertes et fermées des manifestations culturelles, sportives ou festives temporaires ;
les zones d'attente dans les gares, ports et aéroports ;
les bars, cafés, restaurants dont les terrasses sont entièrement « couvertes et fermées sur leurs faces latérales par des parois solides reliées par une jointure étanche à l'air à la paroi supérieure », sous réserve que l'autorité locale compétente ne s'oppose pas à cette exception.
Incendies en Australie : un impact neutre en termes d’émissions de CO2 ?
Les feux dévastateurs en Australie ou « méga-incendies » en 2019 et 2020 ont eu des conséquences importantes sur la santé des habitants et sur les écosystèmes : destruction de plus de 8 millions d’hectares de forêts et perte lourde de trois milliards d’animaux, sans parler des émissions de CO2 dans l’atmosphère, plus élevées que celles annuelles du pays. Malgré l’ampleur des incendies, les pertes de biomasse semblent être compensées par la forte résilience des forêts australiennes. Pour s’en assurer, l’INRAE et ses partenaires se sont appuyés sur de nombreuses images satellitaires et un arsenal complet de techniques d’analyses prédictives. Ils ont ainsi pu estimer la perte et le gain de stocks de carbone notamment dans les zones forestières du Sud-Est de l’Australie, qui ont été les plus touchées. Si les résultats ont confirmé une perte de 200 millions de tonnes de CO2, liés tant aux incendies qu’aux effets cumulés de la sécheresse et des températures extrêmes, ils ont également dégagé des gains importants en termes de biomasse, représentant au total plus de 260 millions de tonnes de carbone stockées.
Selon une étude publiée le 1er septembre 2022, les essences d’eucalyptus, connues pour leur capacité de régénération rapide, même sur des sols pauvres, ainsi que d’importante précipitations favorisant la croissance des végétaux, ont permis une récupération complète des stocks de carbone dès la fin 2020.
Pêche : interdiction du chalutage en eau profonde
En septembre 2022, la Commission européenne a annoncé la fermeture d’une partie de l’océan Atlantique nord-est aux engins de pêche fragilisant les fonds marins. Situées au large des côtes de l’Irlande, de la France, du Portugal et de l’Espagne et d’une surface totale de 16 400 km2, « 87 zones sensibles » verront ainsi leur biodiversité préservée de l’activité destructrice des chalutiers en eau profonde. Peuplés d'une grande diversité de coraux, et d'espèces marines, ces zones présentent des services écosystémiques très précieux notamment dans la séquestration du carbone, qui participe activement à la lutte contre le changement climatique.
Le problème avec cette méthode de pêche : à grand renfort de carburant, elle ratisse et vide les fonds marins, sans aucune distinction d’espèces ou presque. Le tri ne se fait qu’une fois les poissons remontés à bord des navires et entre 20 et 40 % des captures ne présentent pas d’intérêt économique ou commercial. Prises « accidentelles », rejetés mourants à la mer, les requins, menacés d’extinction, en sont les premières victimes. Les chalutiers détériorent les habitats et les organismes posés sur le fond, épuisent les stocks halieutiques et impactent fortement les poissons des profondeurs, dont la reproduction est lente et tardive.
En espérant que cette mesure permette le déploiement d’autres propositions et actions de préservation des mers et océans. Et qu’elle s’élargisse à l’exploitation minière des fonds marins. En effet, le « deep sea mining » est un nouveau domaine d’exploitation marine qui consiste en l’extraction de métaux rares dans les fonds marins. L’utilisation de ces ressources est assez large : de l’industrie automobile à celle électronique en passant par la conception de pièces informatiques. Encore peu explorées, ces zones sont méconnues de tous et représentent un environnement particulièrement attractif pour les communautés scientifiques et le secteur industriel.
La France sort du Traité sur la charte de l’énergie
Le 21 octobre 2022, Emmanuel Macron a annoncé que la France allait se retirer du Traité sur la Charte de l’énergie (TCE). Entré en vigueur en 1998, ce texte permet aux entreprises de porter plainte contre les Etats, devant un tribunal d’arbitrage privé, et d’exiger des dédommagements, si elles estiment que les politiques énergétiques en vigueur menacent leurs intérêts financiers. Il est actuellement signé par cinquante-deux pays, ainsi que par l’Union européenne (UE) en tant qu’organisation internationale.
Le Haut conseil pour le climat a recommandé un retrait coordonné de l’ensemble des Etats membres de l’UE pour respecter « les engagements nationaux, européens et internationaux sur le climat ». Toutefois, le TCE prévoit une clause qui stipule que n’importe quel pays qui se retire reste sujet à des litiges pendant 20 ans . Sauf si les Etats membres actent un retrait commun et décident de ne pas appliquer cette clause. Reste à savoir si les pays de l’UE agiront de concert…
L’Europe conclut un accord historique pour stopper l’importation de produits issus de la déforestation
illégal de bois de la réserve biologique de Gurupi, au Brésil via Wikimedia Commons
Dans la nuit du lundi 5 au mardi 6 décembre 2022, le Parlement européen ainsi que les Etats membres ont conclu un accord historique interdisant les produits issus de la déforestation, tels que le bois, le cacao, l’huile de palme, le café, le soja ou encore le shampoing. Première mesure à saisir la problématique de la déforestation mondiale à bras-le-corps, elle a été adoptée à point nommé : en effet, 420 millions d’hectares de forêts – soit une superficie plus grande que celle de l’UE – ont été détruits à cause de la déforestation entre 1990 et 2020 !
Responsable d’au moins 10 % de la déforestation mondiale en raison de ses importations, l’UE sera ainsi amenée à réduire son empreinte sur la nature.
Les entreprises importatrices auront l’obligation de prouver que leurs produits n’ont pas récemment contribué à la déforestation, c’est-à-dire qu’aucune forêt n’a été déboisée après le 31 décembre 2020. Elles devront ainsi montrer patte blanche, de leur chaîne d’approvisionnement jusqu’à leur parcelle de production, sous peine de pénalités, traçable via des données de géolocalisation des photos satellitaires.
Néanmoins, il convient de noter que, sur certains aspects, cette mesure s’avère timide et souffre de « vides » juridiques. En effet, l’association Greenpeace France souligne que les terres boisées comme celles du Cerrado au Brésil, ne sont pas couvertes par le texte. L’association de défense des forêts Canopée confirme la portée mitigée, en prenant également le Cerrado pour exemple : « 60 % de nos importations européennes à risque de déforestation issues du soja », ne proviennent pas de forêts mais de « savanes arborées ».
L'accord de Kunming Montréal : protéger 30 % de la planète d’ici 2030
La 15e conférence des Parties (COP15) à la Convention sur la diversité biologique s'est tenue à Montréal du 7 au 19 décembre 2022. Elle a abouti à un accord non contraignant mais qui fixe tout de même des objectifs ambitieux. L’accord « comprend des mesures concrètes pour stopper et inverser la perte de la nature, notamment en mettant sous protection 30 % de la planète et 30 % des écosystèmes dégradés d'ici à 2030 ». Rappelons que seuls 17 % des terres et 8 % des zones marines sont actuellement sous protection.
Cet accord a été trouvé dans le cadre mondial de préservation de la biodiversité, et a été adopté à l’issue de négociations âpres. Il comporte quatre objectifs piliers de protection de la nature pour mettre fin à la perte de la biodiversité et la restaurer, comme le précise le site de l’ONU :
mettre un terme à l'extinction des espèces menacées due à l'homme et diviser par dix le taux d'extinction de toutes les espèces d'ici à 2050 ;
utiliser et gérer durablement la biodiversité pour faire en sorte que les contributions de la nature à l'humanité soient appréciées, maintenues et renforcées ;
partager équitablement les avantages découlant de l'utilisation des ressources génétiques et de l'information sur les séquences numériques des ressources génétiques ;
faire en sorte que des moyens adéquats de mise en œuvre du Cadre mondial pour la biodiversité soient accessibles à toutes les parties, en particulier aux pays les moins avancés et aux petits États insulaires en développement.
En plus de ces objectifs « globaux », le cadre mondial pour la biodiversité comporte 23 objectifs à atteindre d'ici à 2030, dont voici deux exemples :
La conservation et la gestion efficace d'au moins 30 % des terres, des zones côtières et des océans de la planète : une mesure particulièrement attendue !
La restauration de 30 % des écosystèmes terrestres et marins dégradés.
Les parties ont également souligné le rôle déterminant des peuples autochtones dans la préservation de la biodiversité et l’ont, de ce fait, inscrit dès les premières lignes de l’accord.
En revanche, l’accord ne prévoit aucun mécanisme de régulation pour contraindre les pays à réviser leurs plans, selon les objectifs fixés. Ils sont simplement invités à préciser les mesures qu’ils souhaitent mettre en œuvre dans leurs programmes nationaux. Si l’accord a le mérite de dresser des lignes directrices claires pour les chantiers de la décennie sur la biodiversité, en revanche, aucune réglementation imposée aux entreprises n’a été adoptée.
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